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Souffrance au travail : un phénomène aux effets encore mal évalués

vendredi 14 septembre 2007 par SDBAM

Dépitée par son travail, Rachida B., assistante de direction dans une entreprise de services, avoue ne plus tenir le coup. Elle fait partie des nombreux salariés victimes de l’acharnement de leurs supérieurs, d’objectifs irréalisables, de l’humeur des collaborateurs, des peaux de banane, des fraudes et autres contournements du droit du travail. « Entre un patron qui fait des siennes et une organisation qui tourne au fiasco, j’ai fini par contracter un ulcère. Depuis, je me fais suivre par un psychiatre », souligne t-elle. Dépression, troubles cardiaques, troubles du sommeil et parfois même suicides, médecins et psychologues s’accordent à dire que la souffrance au travail sévit davantage dans les entreprises. Le sujet, encore tabou il y a quelque temps, fait désormais la une des médias et devient un thème de prédilection dans les colloques internationaux. L’une des raisons avancées pour expliquer le phénomène est que les objectifs de résultat se font de plus en plus pressants dans un contexte de chômage et de précarisation. En somme, les méthodes de management individualisent les relations de travail dans un environnement toujours plus rationnel, voire impersonnel. Les récents cas de suicide en France ne font que raviver le mal-être. Bilan terrifiant : six cas chez PSA, dont trois en quatre mois, et six cas chez EDF, en trois ans. La tension prévaut aussi dans de nombreuses multinationales où les maladies professionnelles se multiplient.

La course à la performance aggrave la pression sur les salariés

Il y a quelques années, Christophe Dejours a fait un état des lieux de la souffrance au travail dans Souffrance en France (Seuil, 2000) aggravée, selon lui, par un contexte de guerre économique. Des auteurs s’interrogent par ailleurs sur la santé psychique de ceux qui nous dirigent : J’ai un patron psychopathe (Isabelle Mercier et Monique Osman, Eyrolles, 2001). D’autres commencent à s’immiscer dans le milieu peu reluisant des grandes entreprises : L’entreprise barbare (Durieux, Jourdain, Edition Albin Michel, 2000). Le harcèlement moral fait débat et nombre de pays ont adopté une législation spécifique sur cette question.

Leurs conclusions sont quasi unanimes. La question de la souffrance sur le lieu de travail se situe dans le contexte économique actuel. Un environnement de concurrence et de survie économique qui a introduit un climat d’incertitude où chacun cherche à tout prix à sa survie, où tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif : disqualification, menaces de licenciements, licenciements. Des méthodes cruelles et discriminatoires sont utilisées pour exclure celles et ceux qui ne sont plus jugés aptes, qui ne conviennent plus. Cette guerre économique menace et détruit des lieux de travail (restructurations, rachats et/ou suppression d’entreprises) et influence le comportement des personnes à l’intérieur de l’entreprise.

Et rien ne semble pouvoir briser aujourd’hui cet épais mur du silence. La peur de perdre son emploi, l’organisation cloisonnée du travail, l’isolement des salariés et les lacunes de l’application du droit du travail empêchent toute solidarité entre salariés et autorisent tous les abus. Ce qui pousse aussi les individus à participer à ce climat, malgré les souffrances et les injustices qui en résultent. Christophe Dejours soulignait il y a quelque semaines, dans les colonnes du Monde, que, par le passé, la communauté de travail offrait des contreparties aux conditions de travail difficiles, aux injustices, au harcèlement, à travers des systèmes de solidarité forts qui permettaient de tenir le coup.Le problème, aujourd’hui, est que le lien social s’est distendu. On ne peut plus compter sur les autres parce que la communauté a été divisée et désorganisée. C’est pourquoi il est urgent de mettre fin à cette violence sournoise par une démarche préventive, interrogeant toute l’organisation de l’entreprise : concertation dans l’organisation, type de gestion du personnel...

Une question taboue au Maroc

Au Maroc, le silence est total sur ce sujet. Pourtant, en l’absence fréquente de contrepouvoir et de médiateur dans l’entreprise, le monde du travail est ici plus qu’ailleurs vulnérable à ce type d’agissements. Mohamed Hachem Tyal, psychiatre, assure que « la souffrance psychologique existe bel et bien dans nos entreprises. Le problème, c’est qu’on refuse de l’admettre et de l’accepter en tant que fléau social. Quand quelqu’un souffre dans son travail, on pense toujours que quelques jours de congé lui suffiront pour retrouver la forme, ou qu’il n’en fait qu’à sa tête », dit-il. Pour le Dr Tyal, « il est important d’améliorer la qualité de travail des collaborateurs, l’efficacité en terme de communication et surtout s’appuyer sur la capacité des gens à travailler en collectivité et améliorer la qualité de vie en collectivité ».

Patrick Barrau, coach et DG du cabinet Maroc Devenir, abonde dans ce sens. A son avis, le management doit favoriser « le développement d’une vision partagée, mettre en œuvre et en vie des valeurs choisies, renforcer la cohérence entre discours, comportements et actions, décloisonner les niveaux hiérarchiques et les métiers, réhabiliter la personne humaine au cœur des organisations ». La solution est aussi individuelle. « Il est important de se mettre au travail pour clarifier en soi tout ce qui est de nature à parasiter notre lucidité et notre capacité à nous mettre en action », souligne M. Barrau. Et d’ajouter : « Le monde de l’entreprise a tout intérêt à favoriser et à encourager toute démarche qui serait de nature à permettre aux cadres et salariés de se développer sur le plan personnel. Le développement professionnel et la performance de l’entreprise passeront obligatoirement par le développement personnel de ses ressources humaines ».

Le problème, à ce jour, est que même si certaines grandes entreprises, les multinationales en particulier, ont élaboré des chartes de bonne conduite, cette violence sociale, interdite d’expression, difficilement démontrable, reste, malgré l’arrivée du nouveau Code du travail, toujours totalement impunie dans la grande majorité des entreprises. Les salariés devront-ils encore - et pour combien de temps ? - courber l’échine, acceptant brimades, humiliations, discriminations... ? Cette violence tue - des études étrangères l’ont démontré - des salariés, dont on nie chaque jour la dignité.

LA VIE éco Brahim habriche Publié le : 14/09/2007


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